7 novembre 2008
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11 novembre 2008 : face aux milliers de croix alignées devant l'Ossuaire de Douaumont, l'injonction tombera comme un couperet en mémoire des 9 millions de morts de la Première Guerre mondiale : Plus jamais ça !
Plus jamais de guerre, plus jamais de haine entre les peuples, plus jamais de morts inutiles (comme si certaines morts pouvaient être utiles). Quelle belle incantation.
Ajoutons à ces commémorations, un lâché de colombes, une minute de silence et quelques rangées d'enfants agitant des petits drapeaux et la litanie des bonnes résolutions pacifiques acquerra une solennité à toute épreuve. Même les plus fervents pacifistes n'auront plus qu'à aller se rhabiller. Brodons un peu sur les avancées démocratiques qui ont découlé de la Grande Guerre, et sur le socle qu'elle a constitué pour la fondation de l'Europe et la messe sera dite.
C'est marrant mais quand je regarde le programme des commémorations du 90ème anniversaire de l'armistice de 1918, je ne vois pas la Paix et la réconciliation. Je vois les guerres passées, présentes et à venir.
Une cérémonie présidée par le chef des armées avec, autour de lui, des officiers, des anciens combattants, des drapeaux et les jeunes générations à qui l'on explique l'importance du patriotisme et du sacrifice, le tout dans un lieu symbolisant à lui seul la résistance face à l'ennemi et la victoire de la Nation toute entière.
Et le pire c'est que rien n'a été laissé au hasard. L'organisation et le contenu des commémorations ont été mûrement réfléchis et découlent d'un rapport établi en décembre 2007 par la commission Becker, rapport dont le contenu est des plus critiquables.
Contrairement à ce qui est avancé dans ce rapport, l'association du "progrès de la démocratie" et de la Première Guerre mondiale ne va pas de soi. C'est en effet l'inverse que l'Histoire nous apprend : de ce conflit a découlé une régression de la démocratie, préparant à terme le fascisme et le nazisme. Il est tout aussi ridicule d'affirmer que "malgré les apparences, cette guerre est bien au départ de la construction européenne". J'imagine le sujet d'Histoire au prochain brevet des collèges : "Vous montrerez que le Traité de Versailles a été une chance pour l'Allemagne et pour l'Europe".
Autre point noir de ce rapport, il ne fait aucune mention du Chemin des Dames et des mutineries de 1917. Pour ces commémorations la ligne est claire : "il est nécessaire d’éviter le contre-sens de transformer ceux qui ont été dans leur masse des combattants conscients (même s’ils ne clamaient pas tous les jours leur patriotisme) en simples victimes". Bref, les valeureux poilus, ont donné leur vie pour que vive la Liberté et la Démocratie. Pas question de faire remarquer que l'Allemagne et l'Autriche étaient tout aussi démocrates que la France, et encore moins que l'Empire russe était l'un de nos principaux alliés.
Vous l'aurez compris, l'importance d'une telle commémoration n'est pas de faire comprendre l'Histoire, mais bien de construire une mémoire collective nationale. Qu'il faille réviser l'Histoire et passer quelques faits sous silence, peu importe. Que le champ de bataille de Verdun n'ait pas grand chose à voir avec l'année 1918, peu importe. Les téléspectateurs se satisferont d'une belle image et de beaucoup d'émotion.
Mémoire et Histoire font rarement bon ménage, et lorsque la politique s'en mêle le résultat est parfois étonnant. Le mythe de nos ancètres les gaulois en est une parfaite illustration. Nos amis historiens se mobilisent parfois pour dénoncer de telles intrusions du politique dans les programmes scolaires (les bienfaits de la colonisation, la lettre de Guy Môquet, et plus récemment lorsque Xavier Darcos indique que le Parlement devrait pouvoir décider "ce qui doit être enseigné" aux élèves ainsi que "les grandes dates, les héros, les événements que la nation doit célébrer"), mais il faut bien reconnaître que la solennité des cérémonies commémoratives se prête mal à ce type de revendications.
De telles célébrations n'ont pas non plus pour but de promouvoir la Paix.
Si on avait réellement voulu parler de Paix on aurait pu inviter le finlandais Martti Ahtisaari, Prix Nobel de la Paix 2008. Il nous aurait rappelé que le vingtième siècle a connu 200 guerres et pas moins de 200 millions de morts. Il nous aurait expliqué pourquoi les civils représentaient 10% des victimes de conflits armés en 1900 et 90% en 1990. Il nous aurait aussi parlé de l'implication de la France dans le génocide rwandais en 1994 (3,5 millions de personnes tuées ou contraintes de fuir) et de ses conséquences sur des conflits actuels méconus comme celui du Congo (5,4 millions de morts depuis 1997). Il nous aurait appris que la France est le troisième pays exporteur d'armes au monde.
Et on aurait peut-être compris qu'il importe peu d'exhorter le peuple à la paix puisque ce sont les dirigeants qui font la guerre.
J'ai une pensée émue pour tous ces jeunes à qui on a pris la vie, mais vous aurez plus de chance de me trouver au 5ème Salon du Livre d'Histoire qui se déroulera au Centre Mondial de la Paix de Verdun sur le thème "Comment finir une guerre" les 8 et 9 novembre, que sur le champ de bataille avec les chefs d'Etats, les têtes couronnées et les caméras de télévision.
Deux citations pour finir.
"Bien entendu, le peuple ne veut pas de guerre. Pourquoi est-ce qu'un pauvre gueux dans une ferme voudrait risquer sa vie dans une guerre dont il ne peut espérer au mieux qu'il en reviendra entier ? Naturellement, le commun de la population ne veut pas de guerre ; ni en Russie, ni en Angleterre, ni en Amérique, ni, en ce qui nous concerne, en Allemagne. C'est bien entendu. Mais, après tout, ce sont les dirigeants d'un pays qui en déterminent les lignes d'action, et ce n'est jamais qu'une question simple que d'entraîner le peuple, que ce soit dans une démocratie, une dictature fasciste, un Parlement, ou une dictature communiste. […] Le peuple peut toujours être converti à la cause des dirigeants. Cela est facile. Tout ce qu'il suffit de faire, c'est de leur dire qu'ils sont attaqués et dénoncer les pacifistes pour leur manque de patriotisme qui expose le pays au danger. Cela marche de la même manière dans tous les pays". Hermann Göring, Nuremberg Diary
"De nos jours, ils ne luttent pas du tout les uns contre les autres. La guerre est engagée par chaque groupe dirigeant contre ses propres sujets, et l'objet de la guerre n'est pas de faire ou d'empêcher des conquêtes de territoires, mais de maintenir intacte la structure de la société". 1984, George Orwell
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C'est marrant mais quand je regarde le programme des commémorations du 90ème anniversaire de l'armistice de 1918, je ne vois pas la Paix et la réconciliation. Je vois les guerres passées, présentes et à venir.
Une cérémonie présidée par le chef des armées avec, autour de lui, des officiers, des anciens combattants, des drapeaux et les jeunes générations à qui l'on explique l'importance du patriotisme et du sacrifice, le tout dans un lieu symbolisant à lui seul la résistance face à l'ennemi et la victoire de la Nation toute entière.
Et le pire c'est que rien n'a été laissé au hasard. L'organisation et le contenu des commémorations ont été mûrement réfléchis et découlent d'un rapport établi en décembre 2007 par la commission Becker, rapport dont le contenu est des plus critiquables.
Contrairement à ce qui est avancé dans ce rapport, l'association du "progrès de la démocratie" et de la Première Guerre mondiale ne va pas de soi. C'est en effet l'inverse que l'Histoire nous apprend : de ce conflit a découlé une régression de la démocratie, préparant à terme le fascisme et le nazisme. Il est tout aussi ridicule d'affirmer que "malgré les apparences, cette guerre est bien au départ de la construction européenne". J'imagine le sujet d'Histoire au prochain brevet des collèges : "Vous montrerez que le Traité de Versailles a été une chance pour l'Allemagne et pour l'Europe".
Autre point noir de ce rapport, il ne fait aucune mention du Chemin des Dames et des mutineries de 1917. Pour ces commémorations la ligne est claire : "il est nécessaire d’éviter le contre-sens de transformer ceux qui ont été dans leur masse des combattants conscients (même s’ils ne clamaient pas tous les jours leur patriotisme) en simples victimes". Bref, les valeureux poilus, ont donné leur vie pour que vive la Liberté et la Démocratie. Pas question de faire remarquer que l'Allemagne et l'Autriche étaient tout aussi démocrates que la France, et encore moins que l'Empire russe était l'un de nos principaux alliés.
Vous l'aurez compris, l'importance d'une telle commémoration n'est pas de faire comprendre l'Histoire, mais bien de construire une mémoire collective nationale. Qu'il faille réviser l'Histoire et passer quelques faits sous silence, peu importe. Que le champ de bataille de Verdun n'ait pas grand chose à voir avec l'année 1918, peu importe. Les téléspectateurs se satisferont d'une belle image et de beaucoup d'émotion.
Mémoire et Histoire font rarement bon ménage, et lorsque la politique s'en mêle le résultat est parfois étonnant. Le mythe de nos ancètres les gaulois en est une parfaite illustration. Nos amis historiens se mobilisent parfois pour dénoncer de telles intrusions du politique dans les programmes scolaires (les bienfaits de la colonisation, la lettre de Guy Môquet, et plus récemment lorsque Xavier Darcos indique que le Parlement devrait pouvoir décider "ce qui doit être enseigné" aux élèves ainsi que "les grandes dates, les héros, les événements que la nation doit célébrer"), mais il faut bien reconnaître que la solennité des cérémonies commémoratives se prête mal à ce type de revendications.
De telles célébrations n'ont pas non plus pour but de promouvoir la Paix.
Si on avait réellement voulu parler de Paix on aurait pu inviter le finlandais Martti Ahtisaari, Prix Nobel de la Paix 2008. Il nous aurait rappelé que le vingtième siècle a connu 200 guerres et pas moins de 200 millions de morts. Il nous aurait expliqué pourquoi les civils représentaient 10% des victimes de conflits armés en 1900 et 90% en 1990. Il nous aurait aussi parlé de l'implication de la France dans le génocide rwandais en 1994 (3,5 millions de personnes tuées ou contraintes de fuir) et de ses conséquences sur des conflits actuels méconus comme celui du Congo (5,4 millions de morts depuis 1997). Il nous aurait appris que la France est le troisième pays exporteur d'armes au monde.
Et on aurait peut-être compris qu'il importe peu d'exhorter le peuple à la paix puisque ce sont les dirigeants qui font la guerre.
J'ai une pensée émue pour tous ces jeunes à qui on a pris la vie, mais vous aurez plus de chance de me trouver au 5ème Salon du Livre d'Histoire qui se déroulera au Centre Mondial de la Paix de Verdun sur le thème "Comment finir une guerre" les 8 et 9 novembre, que sur le champ de bataille avec les chefs d'Etats, les têtes couronnées et les caméras de télévision.
Deux citations pour finir.
"Bien entendu, le peuple ne veut pas de guerre. Pourquoi est-ce qu'un pauvre gueux dans une ferme voudrait risquer sa vie dans une guerre dont il ne peut espérer au mieux qu'il en reviendra entier ? Naturellement, le commun de la population ne veut pas de guerre ; ni en Russie, ni en Angleterre, ni en Amérique, ni, en ce qui nous concerne, en Allemagne. C'est bien entendu. Mais, après tout, ce sont les dirigeants d'un pays qui en déterminent les lignes d'action, et ce n'est jamais qu'une question simple que d'entraîner le peuple, que ce soit dans une démocratie, une dictature fasciste, un Parlement, ou une dictature communiste. […] Le peuple peut toujours être converti à la cause des dirigeants. Cela est facile. Tout ce qu'il suffit de faire, c'est de leur dire qu'ils sont attaqués et dénoncer les pacifistes pour leur manque de patriotisme qui expose le pays au danger. Cela marche de la même manière dans tous les pays". Hermann Göring, Nuremberg Diary
"De nos jours, ils ne luttent pas du tout les uns contre les autres. La guerre est engagée par chaque groupe dirigeant contre ses propres sujets, et l'objet de la guerre n'est pas de faire ou d'empêcher des conquêtes de territoires, mais de maintenir intacte la structure de la société". 1984, George Orwell
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